Cet article ne parlera pas de voyage à proprement parler, bien que le sujet principal que j’ai choisi d’aborder ici ait une place centrale dans l’avancée de notre projet de vie à Toronto. Je vais parler de recherche d’emploi, car ici tout est différent, bien que les problématiques liées au chômage reste globalement les mêmes qu’en France (à savoir : c’est la galère).
Je pense être assez bien placée pour parler de recherche d’emploi, car avouons-le, niveau boulot, ça fait un bon petit moment que je rame. J’ai validé mon master en novembre 2012 et s’en sont suivis de longs et douloureux (oui, oui) mois de chômage, puis du bénévolat, un cdd et de l’intérim. J’ai envoyé des dizaines de candidatures, de cv et de lettres de motivation, jusqu’à épuisement. Le chômage, ça vous mine clairement le moral. On perd ses repères de vie, l’image qu’on a de nous-même change, on perd l’estime de soi, on culpabilise de tout, on se met la pression et on a clairement l’impression de ne plus être dans le coup. Je vous passerai le paragraphe sur la crise de l’emploi et la situation économique française, d’autres sont plus qualifiés que moi pour en parler et ce n’est pas vraiment le propos. Toujours est-il qu’étant de nouveau à la recherche d’un emploi ici à Toronto, me voilà replongée dans le bain du chômage, avec tout un tas de considérations que j’avais envie de partager.
Longue introduction. SORRY ABOUT THAT (oui je pense en anglais maintenant).
Aujourd’hui, j’attaquais ma six ou septième candidature canadienne et j’avoue que j’ai eu un petit coup de mou. Le processus de recrutement est assez différent de la France. Les cv par exemple ne suivent pas du tout le même modèle. Adieu donc mon beau cv de graphiste, avec des couleurs et des encadrés, ma photo de Miss France et des tas de détails personnels qui disent que, par exemple, une fois, chez ma maman, dans le nord, j’avais fait du canoë. (Si, si, je vous jure.) On vous demande ici d’être sobre (rien à voir avec votre consommation de bière) et de ne pas dévoiler de détails personnels tels que votre sexe, âge, nationalité, situation familiale ou encore vos hobbies. Pour le coup, je dis AMEN (vive la non-discrimination !). Cependant, pour chaque expérience professionnelle, il vous faut détailler toutes les missions effectuées, en utilisant des verbes d’action et en casant tout un tas de chiffres et d’accomplissements professionnels (si comme Damien par exemple vous avez été élu MVP par vos collègues, c’est le moment de vous en servir) : ça c’est le côté américain. A la différence de la France où le cv reste le même et seule la lettre de motivation est à personnaliser en fonction de l’offre, ici, le cv doit être adapté pour CHAQUE poste. Il doit être un quasi copier-coller (dans la mesure du possible) de l’offre à laquelle vous postulez, en mettant en avant les missions que vous avez réalisées par le passé et qui correspondent le mieux à ce qu’on vous demande. Il ne s’agit pas vraiment de paraphraser l’annonce, mais il faut quand même recaser quelques mots clés (qui sont parfois détectés informatiquement par des logiciels de ressources humaines utilisés par certaines entreprises pour faciliter le travail des recruteurs). Un boulot de dingue, donc, quand il faut ensuite penser à rédiger une lettre de motivation efficace. Et tout ça en anglais (s’il fallait le préciser).
Comme je n’ai pas vraiment confiance en ma capacité à bien me vendre par écrit (et aussi pour avoir bonne conscience), j’ai participé à deux ateliers d’aide à la recherche d’emploi et à la rédaction du CV proposé par la RDéE (Réseau de développement économique et d’employabilité de l’Ontario), un organisme à but non lucratif chargé d’aider les Français et francophones à s’intégrer professionnellement en Ontario. J’ai connu cet organisme grâce à une autre pvtiste française avec qui j’avais échangé par téléphone et Facebook et qui m’avait filé quelques tuyaux pour bien s’intégrer. J’ai eu un premier rendez-vous – qui ressemblait un peu au rendez-vous d’inscription au pôle emploi, c’est-à-dire, obligatoire, expéditif et moyennement efficace – et j’ai ensuite participé à un atelier en groupe pour la rédaction du cv, cette fois forcément beaucoup intéressant et interactif. J’ai profité de quelques conseils, et fait le tri dans les infos proposées. Une des deux conseillères était un peu… « franco de porc » comme on dit chez moi. Avec des phrases cinglantes qui donnaient quelque chose du style : « Vous, si vous étiez recruteur, vous aimeriez lire CA ? » [Voix méprisante et moue de dégout]… Il est vrai que mon cv était assez chargé et écrit petit (et dieu inventa le bouton « zoom + » sur acrobat reader… je dis ça…). J’ai remballé ma fierté et j’ai fait ma bonne élève. J’ai corrigé et remis entièrement en page mon cv et j’ai continué ma recherche d’emploi, mettant ainsi toutes les chances de mon côté.
Le problème avec toutes ces règles – et aussi le fait que l’anglais ne soit pas ma langue maternelle – et aussi que j’ai tendance à être assez exigeante avec moi-même – c’est que ça me prend ENORMEMENT de temps. Je compte entre deux et quatre heures passées à rédiger, remettre en page, traduire, faire corriger mes lettres et mon cv pour chaque candidature. Du coup, comme souvent, j’y mets toute mon énergie et je commence à connaître l’offre par cœur, à m’imaginer (malgré moi) travailler là-bas et combien de sous je pourrais gagner (parce que c’est le nerf de la guerre et que les salaires torontois dans la culture sont TELLEMENT plus élevés qu’en France) et à quel point ce serait génial d’avoir un poste comme ça. Bien que je sois quasiment bilingue maintenant, je ne peux pas prétendre à tous les jobs ici. La communication, par exemple, demande évidemment un anglais sans fautes à l’écrit comme à l’oral. Il faut donc essayer de tout miser sur les offres bilingues ou les organismes francophones. Cela veut dire alterner les candidatures en anglais et en français, soit quatre fois plus de boulot (cv + lettre de motivation en double).
Ici, il y a beaucoup plus d’offres d’emploi dans le milieu culturel (et plus d’emplois en général cela va de soi), mais c’est un secteur très compétitif. Cependant, tout marche par le réseautage et les connaissances personnelles. On m’a expliqué très clairement que la plupart des offres mises en lignes seront postées pour la forme, car déjà pourvues en interne ou parce que quelqu’un connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un…
Pour connaître des gens, il y a chaque jour ce qu’on appelle des « meetups » pour faire connaissance et discuter (en dehors du cadre pro) autour de centre d’intérêts communs, dans des groupes ou clubs qui vont des « avocats basketteurs de Toronto », à celui des « amoureux des animaux ». C’est l’occasion de discuter, serrer des mains et distribuer votre carte d’affaire. Evidemment, ne jamais dire directement que l’on cherche un emploi, il faut être plus subtil que ça et juste balancer ce qu’on appelle ici un « elevator speech » (un discours bien rodé, d’une minute trente, dans lequel vous dites qui vous êtes, de préférence quelqu’un de génial, et ce que vous faites dans la vie) et attendre qu’on pense à vous un jour ou bien qu’on vous rappelle. Je n’ai pas encore sauté ce pas là, rien de classe à me mettre et pas de cartes de visite (ou alors j’ai juste trop les boules ?). Ce qui marche fort aussi c’est LinkedIn, ce réseau social pro qui existe aussi en France, mais qui n’a pas, mais alors, PAS DU TOUT la même portée. Ici, si tu n’as pas ton profil LinkedIn, c’est que tu vis probablement sous un caillou depuis dix ans. Tout le monde consulte ce site et tu peux, par ce biais, contacter des connaissances de connaissances (jamais des inconnus : it’s rude !) et tu peux même demander à rencontrer en personne des gens supers dans des domaines supers. Tu envoies un message pour dire « j’adorerais vous entendre parler de vous et avoir vos conseils » et alors comme les gens adorent parler d’eux, ils te rencontrent et te propose un café (shit, je n’aime pas ça) et tu ressors « l’elevator speech » et les conseils de subtilité cités plus haut. Ou alors, il y a l’option que je préfère : SE FAIRE DES AMIS ! Et oui, les amis sont ton réseau le plus solide et ceux qui sauront le mieux parler de toi s’ils entendent quelque chose qui pourrait t’intéresser.
On a plutôt un bon karma de ce côté-là avec Damien et puis nos deux bonnes étoiles, Clémence et Stan, nous ont bien aidé (vous savez, ceux qui nous avait recueillis après l’épisode de mes morsures d’insectes dans l’hôtel pourri de la première semaine). Ils nous font suivre les supers offres auxquelles ils ont accès via leur réseau. Et ils ont organisés un super barbecue il y a quelques jours (comme ça se fait beaucoup ici pour entretenir les relations pro notamment) et on a rencontré tous leurs supers amis. Une soirée géniale, autour de grillades de souvlaki grecques et de bon fromage qui pue français, à rencontrer des gens hyper intéressants et à développer pleins de nouvelles connexions. Ça a notamment été pour moi un énorme coup de pouce dans ma candidature comme bénévole pour les Jeux Panaméricains.
Les Jeux Panaméricains, c’est l’équivalent des Jeux Olympiques à l’échelle de l’Amérique (du Nord, du Sud, Centrale et des Caraïbes). Plus de 50 disciplines et surtout 23 000 bénévoles ! Evidemment il y a de la gymnastique rythmique au programme (mais au Canada, ce n’est pas exactement le sport national) et tout un tas d’autres sports comme la natation, le baseball ou encore l’athlétisme. Ça se déroule à Toronto pour la première fois cet été, au mois de juillet, et je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté. Bien que je ne suive pas toujours le sport à la télé, j’ai toujours été une fan absolue des grands événements sportifs comme les Jeux ou la Coupe du Monde de foot ou de rugby! J’aime ces rendez-vous sportifs hyper intenses où tout le monde se rassemble et où tu te prends de passion pour des sports bizarres où des gens doivent faire du ski et tirer au pistolet en même temps. Bref. Je ne pouvais pas rater cette opportunité, alors j’ai répondu à un questionnaire en ligne pour devenir bénévole et j’ai attendu qu’on me recontacte. J’ai eu la réponse par email, quelques jours plus tard, qui disait : « Bravo, vous avez été sélectionnée pour une entrevue vidéo ». Evidemment, ils ne peuvent pas rencontrer en personne les quelques 60 000 candidats qui postulent pour ces postes de bénévoles. Il faut quand même que je vous raconte comment s’est passé mon entretien.
Les questions étaient préenregistrées sur une bande vidéo accessible via une plateforme en ligne. Une fois la question lancée, un chronomètre se déclenchait et je n’avais qu’une seule chance pour enregistrer mes réponses… Vous le voyez venir le moment où je me mets trop la pression et où je sais plus comment parler anglais ? Bon bah, voilà, c’est maintenant. Sur l’email que j’avais reçu, on m’informait qu’une plateforme de préparation était disponible en ligne pour s’entrainer, donc évidemment j’y ai passé ma soirée. J’ai révisé mes réponses aux deux questions : « Parlez-nous de vous » et « Que savez-vous des jeux panam ? ». Je savais mon speech sur le bout des doigts. J’ai même répété la voix nasillarde et le sourire colgate (le côté un peu faux-cul canadien – oups c’est dit) face à ma webcam. J’ai dormi et je me suis préparée le lendemain matin pendant un long moment : misons tout sur le physique, mais pas que. Et j’ai lancé la vidéo, après douze millions de réglages pour être sûr que tout allait bien. Et là, ce qui devait arriver arriva. Les questions n’étaient pas DU TOUT les mêmes que sur la plateforme d’entrainement. Donc j’ai un peu perdu mes moyens après les 30 secondes que la plateforme nous laissait pour « préparer » notre réponse (haha). 14 interminables questions se sont enchaînées par la suite, pendant près de 45 minutes d’entretien, en switchant de l’anglais au français et puis à l’espagnol. Des questions bien d’ici comme :
« Leadership and management of volunteers will be critical to the success of the TORONTO 2015 Games. Please give a specific example of how you motivated volunteers or employees. Also, please identify the skills you feel will be most important when leading a team at the TORONTO 2015 Games.”
Soit : « Le management et la gestion d’équipe de bénévoles seront des éléments essentiels à la réussite de Toronto 2015. Citez, s’il vous plait, un exemple de la façon dont vous avez déjà motivé des bénévoles ou des employés. De plus, identifiez les compétences qui vous semblent les plus importantes pour la gestion d’une équipe lors des Jeux de Toronto 2015 ».
Mes réponses ont été plus qu’approximatives, car je ne m’attendais pas du tout à ça, surtout pour un poste de bénévole ! Ça m’a permis de saisir l’importance accordée ici aux expériences de bénévolat et l’investissement des Canadiens dans ce type d’événement. Il n’y a qu’à lire les posts du groupe Facebook des bénévoles des Jeux. Des gens publient des messages en larmes : « Mon rêve s’arrête ici, je vous quitte tous, je ne vous oublierai jamais… », tellement déçus de n’avoir pas été sélectionnés. Des activités sont organisées (laser game, karaoke, soirées dansantes…) pour rapprocher les bénévoles et souder les équipes. Certains posent même des congés pour y participer : quand on sait qu’il n’y a que deux semaines de congés payés au Canada, c’est dire la volonté sans faille! Partout dans le monde on cherche des bénévoles sur les événements sportifs et culturels… Ici, on refuse du monde.
J’ai eu la chance de rencontrer Neil à ce fameux barbecue. Un ami de Stan qui venait juste de quitter son poste au service de recrutement des bénévoles pour les Jeux (le karma je vous dis). Il a malgré tout fait jouer ses connaissances pour me trouver une super place. Ma candidature n’aurait surement jamais aboutie, car il m’a expliqué que tous les postes sont en réalité pourvus (les offres sont en ligne depuis décembre), mais il existe un genre de liste d’attente en cas de désistement.
ààààà
[quelques screenshots de mon training en ligne ]
Long story short, me voilà bénévole pour l’accueil des athlètes de haut niveau pour la compétition de Beachvolley (et Hola les brésiliens baraqués se jetant dans le sable pendant 10 jours.. et aussi les beachvolleyeuses immenses, parfaites et bronzées qui me feront ressemblé à un gros loukoum blanchâtre pendant dix jours). J’ai fait mon training en ligne (super long, mais intéressant), il ne me reste plus qu’à participer à ma formation de groupe et à aller chercher mon uniforme et mon accréditation. Mes horaires sont dingues (13h-1h du matin pour la plupart des shifts), mais j’ai vraiment hâte de faire partie de cet événement international que je n’aurai surement jamais l’occasion de revivre ! Le rêve !
Pour le reste, les vrais boulots dans mes compétences (payés, tout ça, tout ça), il ne reste plus qu’à espérer qu’on me rappelle. J’ai des pistes tellement cool… Je vais essayer de ne pas sombrer dans la phase de « je suis nulle et personne ne m’aime » qui découle souvent des périodes où l’on n’a pas de travail. Forcément, ça joue sur l’estime de soi et le rythme de vie. Pas facile d’ailleurs de ne pas avoir un vrai rythme de semaine (c’est déjà assez déroutant que tout soit ouvert le dimanche). A tel point qu’hier, je croyais qu’on était mercredi et j’ai loupé la formation pour être bénévole sur un super festival de théâtre… Dans ma famille on dit « GN », ce qui veut dire grosse naze (un titre honorifique à la base destinée régulièrement à ma sœur Marie, mais que je m’attribue ici sans broncher). Je suis super dégoutée, évidemment, mais je les ai supplié pour avoir une deuxième chance. Qui ne tente rien n’a rien !
Je vous tiens au courant de l’avancée de tous ces projets. En attendant, vous pouvez prier, croiser vos doigts de pieds et jeter du sel par-dessus votre épaule.